Quand accès et volonté font une différence
J'ai entamé une tournée de sites où la nage en eau libre est accessible au Québec en juillet 2024. Accompagnée de ma sœur et complice de cette aventure, nous allions enfiler nos wetsuits pour la première visite à la plage de Saint-Zotique. Deux ans auparavant, j'avais découvert leur offre sur Internet. J'avais vu qu'il était possible d’y pratiquer la nage en eau libre, mais sans plus de détails. Je ne savais donc pas exactement à quoi m'attendre et j’étais prête à me lancer dans l’inconnu en plongeant littéralement dans le lac Saint-François.
Ce lieu n’était pas sans résonance pour moi : le nom de Saint-Zotique évoquait des souvenirs d’enfance, de visites familiales à Montréal, non loin de la rue éponyme où vivaient mes grands-parents. Mais le souvenir de Saint-Zotique évoquait aussi un chalet au bord du lac Saint-François, où mes grands-parents amenaient chaque été la famille pour quelques jours d’évasion. Des photos datant des années cinquante montrent mon grand-père dans l’eau avec ma mère, ma tante et deux de mes oncles, enfants. Mon grand-père, qui ne savait pourtant pas nager, tenait tout de même à initier sa famille aux joies de la baignade.
Fonds d'archives Marcelle Labrosse
Fonds d'archives Marcelle Labrosse
C’est dans ce contexte de villégiature que ma famille a pu avoir un accès à un plan d’eau pour s’initier à la nage. À l’époque, comme aujourd’hui, l’accès à ces plans d’eau dépendait de la volonté et des moyens de quelques-uns. Sans ce chalet, mes grands-parents n’auraient jamais pu offrir cette expérience à leurs enfants. Ce courant de villégiature qui a transformé la région de Vaudreuil-Soulanges dès le début du 20ième siècle, a ouvert la voie à la présence de plages et de chalets, lieux de refuge pour ceux qui cherchaient à échapper à la ville.
Julie Bellefeuille, du Centre d’archives de Vaudreuil-Soulanges, résume ici ce moment d'histoire.
« Dans les années 1930, la villégiature, bien qu’au ralenti, se poursuit malgré la crise financière qui s’abat partout. Dans les années 1940, les chalets surgissent dans le paysage, qu’ils soient isolés ou regroupés en camp, comme à Terrasse-Vaudreuil. On les trouve le long des cours d’eau, entre autres à Vaudreuil, Rigaud, Pointe-Fortune et sur l’île Perrot. La baignade sur les plages de Coteau-du-Lac, Dorion ou Grande Anse, par exemple, est de mieux en mieux acceptée, mais les curés font continuellement des recommandations d’usage aux femmes. »
Heureusement aujourd'hui, plus personne n'empêche les femmes de se baigner au Québec, mais les accès publics à l’eau demeurent limités. Saint-Zotique, avec sa vaste plage et ses nombreux services, figure parmi les rares accès disponibles près du grand Montréal. Elle attire plus de 4 000 personnes par jour lors des journées estivales. Notre rapport au fleuve, ce majestueux Saint-Laurent dont le lac Saint-François est l’un des élargissements, est intimement lié aux accès qu’on nous accorde — ou non. Sans ce chalet, mon grand-père n’aurait pu offrir à ma mère ses premières expériences de baignade, et elle n’aurait probablement pas pris l’initiative de nous inscrire, mes sœurs et moi, à des cours de natation pour transmettre cette précieuse compétence.
La plage de Saint-Zotique est située au centre du quartier Notre-Dame-des-Rivières qui est reconnu pour son aménagement résidentiel en canaux navigables. La plage, avec ses palmiers, son espace de jeux gonflables pour enfants, ses cours de zumba, et ses concerts country lors du Festival régional de la grillade, semble être bien plus qu’un simple lieu de baignade. Mais y pratique-t-on vraiment la nage en eau libre? C’est ce que je m’apprêtais à découvrir.
Sous un ciel gris et à une heure matinale, nous avons été accueillis, ma sœur et moi, par Isabelle Dalcourt, qui était alors la directrice des opérations. En tant qu’instigatrice de cette activité et instructrice de nage, elle nous explique le déroulement de l’entraînement. Les nageurs se regroupent tous les samedis matin et en fonction de leurs objectifs, que ce soit une nage près des berges ou un parcours plus long. Les kayakistes sauveteurs encadrent chaque groupe pour assurer leur sécurité. Isabelle nous raconte les efforts qu’elle a déployés pour équilibrer la cohabitation entre nageurs et autres usagers, malgré les défis posés par les motomarines qui ignorent parfois la zone réservée. Ces entraînements encadrés sont la façon la plus efficace qui a été mise en place pour permettre la pratique de la nage en eau libre.
Le lac Saint-François, est une partie plus élargie du Saint-Laurent et sa berge opposée, à cet endroit, est de 5 km. Ce lac fait partie de la voie maritime permettant aux bateaux de l’océan d’accéder aux Grands Lacs. Après un premier kilomètre le long de la berge, nous avons ensuite décidé de nager jusqu'à une bouée de signalisation située à environ 200 mètres de la berge. Bien que nous soyons restées à distance, ce repère flottant, imposant et solitaire dans l’eau, rendait l’expérience à la fois impressionnante et sereine.
Je n’aurais jamais osé m’aventurer ainsi sans la présence rassurante d’un kayakiste. C’est ce sentiment de sécurité, allié à la passion des gens que j’ai rencontrés, qui fait de l’offre de Saint-Zotique un lieu idéal pour tous les nageurs, qu’ils soient débutants ou chevronnés. Ici, on perçoit toute la générosité d’une équipe qui déploie des efforts pour rendre la nage en eau libre accessible et sécuritaire.
J’ai aussi préféré avancer vers le large plutôt que longer la berge. En nageant près de la berge, je fus pour la première fois confrontée aux algues, ou plutôt aux plantes aquatiques, plus nombreuses près du bord peu profond. L'eau était étonnamment claire comme en témoignent les images prises dans notre petite vidéo de visite.
En remontant sur la plage, je repense à cette histoire familiale. C’est l’accès à ce chalet au bord du lac Saint-François qui a permis à ma mère de découvrir la baignade, et plus tard, elle a transmis cet amour de l’eau à mes sœurs et moi. L’accès est intimement lié à notre relation avec l’eau: sans lieu pour goûter au bonheur de s’immerger en nature pour pratiquer la nage, l’envie de goûter à cette liberté ne peut ni germer ni s’épanouir. Plus les accès se multiplieront, plus les gens seront nombreux à se laisser initier d’abord à la baignade, puis à la nage. La plage de Saint-Zotique, par son aménagement et l’encadrement offert, est un exemple inspirant auquel nous souhaitons longue vie.
Visite en images ici : Moi j'nage au lac Saint-François
Marie-Claire Fortin
Fondatrice du site Nage en eau libre Québec, nageuse récréative et passionnée, elle souhaite aider les nageurs à trouver des sites où pratiquer la nage en eau libre en toute sécurité et que les propriétaires qui peuvent permettre des accès soient sensibilisés et embarquent dans le mouvement.